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Dans les coulisses de la reconnaissance des droits de la rivière Magpie

15 mars, 2021
Dans les coulisses de la reconnaissance des droits de la rivière Magpie

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Publié le 15 mars 2021

Pier-Olivier Boudreault
Biologiste en conservation

Pier-Olivier est biologiste en conservation à la SNAP Québec depuis 2013. Son travail au sein de l’Agence Parcs Canada et de plusieurs ONG au Québec et en Amérique Centrale l’ont mené à s’intéresser à la conservation et aux aires protégées. Il adore le canot, la pêche, la photographie, la musique et les mouches à chevreuil.


Le 23 février dernier, l’Alliance Muteshekau-shipu, dont fait partie la SNAP Québec, annonçait l’octroi d’une « personnalité juridique » à la rivière Magpie – une première au Canada. La nouvelle a suscité énormément d’intérêt et a fait les manchettes dans les médias. Mais concrètement, qu’est-ce que cette reconnaissance apporte?

Une rivière unique

La SNAP Québec et ses partenaires travaillent depuis près de 10 ans à protéger la rivière Magpie d’un éventuel développement hydro-électrique de la part d’Hydro-Québec, la société d’État responsable des questions énergétiques dans la province du Québec.

La rivière Magpie est une rivière exceptionnelle qui est classée par le prestigieux magazine National Geographic (et de nombreux autres) parmi les dix meilleures au monde pour les activités en eau-vive comme le rafting, le kayak et le canot. Son potentiel a d’ailleurs été validé par une étude scientifique.

Excursion sur la rivière Magpie, Muteshekau-shipu (son nom en innu) – Crédit : Boreal River

L’approche des droits de la nature pour la rivière Magpie offre un tournant majeur, tout en renforçant la voix de la Première Nation Innue et des acteurs locaux. Elle reflète également les droits et les valeurs reconnus par la Déclaration universelle des droits des fleuves, qui encouragera d’autres gouvernements à rejoindre le mouvement. 

Monti Aguirre, Coordonnatrice du Programme pour l’Amérique Latine à International Rivers

Utiliser les outils à notre disposition

Devant le refus prolongé du gouvernement du Québec et de la société d’état Hydro-Québec de protéger la rivière Magpie, les communautés locales ont décidé de faire preuve de leadership et d’étudier les autres outils de protection à leur disposition. À l’époque, en 2017, la reconnaissance du fleuve Wanghanui comme entité vivante en Nouvelle-Zélande a été un élément déclencheur de notre propre démarche et une importante inspiration.

La SNAP Québec a créé un groupe de travail avec l’Observatoire International des Droits de la Nature, basé à Montréal au Canada, et les partenaires du projet pour la protection de la rivière Magpie – incluant la Première Nation Innue de Ekuanitshit et la MRC de Minganie, un groupe de municipalités gérant une région grande comme l’Irlande.

Trois ans plus tard, deux résolutions miroir de plus de 25 pages sont adoptées sur la base de fondements juridiques du droit international et national concernant les Premières Nations, ainsi que le droit municipal de la province de Québec.

Neuf droits sont ainsi établis pour la rivière Magpie, notamment le droit de vivre, d’exister et de couler, le droit d’être préservée et protégée mais également le droit d’ester en justice. Ce dernier droit est crucial pour permettre la protection de la rivière face à d’éventuels projets industriels.

« Les gardiens qui seront nommés pour défendre la rivière seront en mesure de faire valoir ses droits devant les tribunaux ou d’autres instances gouvernementales. Il s’agit d’un changement de paradigme majeur car la rivière Magpie a désormais une existence dans la Loi, comme un être humain ou une corporation ». – Pier-Olivier Boudreault, directeur de la conservation à la SNAP Québec.

Faire partie du mouvement

La reconnaissance de la rivière Magpie comme personnalité juridique est un premier cas au Canada, mais fait partie d’une mouvance internationale visant à reconnaître que les rivières et les écosystèmes ne sont pas simplement des ressources à la disposition de l’être humain, mais des entités ayant une existence intrinsèque et un droit d’exister. Il s’agit d’une conception dite « écocentriste » du monde où l’homme est un élément parmi d’autres d’un vaste système naturel.

Outre la rivière Wanghanui mentionnée précédemment, le fleuve Atrato s’est vu attribuer des droits par la cour constitutionnelle de la Colombie; les droits de la Nature ont été reconnus dans les constitutions de l’Équateur et de la Bolivie; plus de 20 municipalités aux États-Unis ont adopté des ordonnances locales qui reconnaissent les droits des écosystèmes.

Partout dans le monde, les gouvernements prennent conscience du fait que les rivières sont des entités vivantes avec des droits fondamentaux qui doivent être respectés. Si l’être humain souhaite prospérer, nous devons sortir de ce système archaïque qui traite les rivières comme une propriété et avancer vers une nouvelle ère où les rivières et les autres écosystèmes ont leur voix dans notre système légal, et auprès de nos gouvernements et institutions. 

Grant Wilson, Directeur général du Earth Law Center